"Encre dansée"
(Par-avant 40, Encres délibérées)
L’encre est matière vive, filet de sang discipliné ou jailli fou, jeté au bout de soi, répète-t-il. Le bras accompagne la main, le corps entier est mobilisé et aussitôt réverbéré, projeté, bientôt absorbé dans le tracé séchant. De la main à la feuille, le geste est fluide ou saccadé, échappé de l’esprit, d’un seul et large tenant. C’est du vivant placé au vent, sur la page, dans un murmure égal et rassurant ou dans un crissement qui déchire.
Dans ce corps à corps avec ce qui se trame à l’intérieur, il se concentre. Ça pue la sueur et le doute. Il pousse l’affaire du bout de l’ombre, qui, il en prend conscience, pourrait bien elle aussi, de l’autre côté et en léger décalé, tracer les signes autant que lui. Ça danse de partout. C’est instable et mal lisible. La pointe, par quelle main menée, court après les dénivelés, les ratures, la lettre froissée se cache, ne se laisse pas toujours rondement menée. De la difficulté au bout des doigts, il prend leçon de résistance.
Tout s’efface de cet échappement sauvage, tout se lamine quand on enclave les mots, quand on les filtre derrière l’écran lisse. Et pourtant il le fait, il va aussi vers cette facilité, ce très court circuit sans odeur.
Pour tout l’aléatoire de l’encre, combien de pages bien nettes sera-t-on prêt, bientôt, à échanger ?