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Le hasard tout net

("Le hasard tout net", Encres délibérées )

      C’est quand l’encre sèche que le silence peut s’installer. Les traces sont claires, mais menues, menues, si menues. Beaucoup de bruit autour peut, d’un coup, les engloutir à jamais.

       Parfois des bribes de phrases, comme les franges d’un tapis, accrochent son regard. Régulières, précises dans leur alignement mesuré. Elles l’étonnent. Comme cet homme, chez le maraîcher en libre service, qui au moment de payer les oranges, les passe-crassanes et le muscat qu’il venait de déposer lui-même dans des sacs en papier, s’entend réclamer par la caissière 10 euros tout net. 10 euros tout net ? Comment c’est possible, ça ? Comment j’ai fait ? Les autres clients sourient, amusés. Faut que je joue au loto, que je fasse quelque chose, dit l’homme en quittant les lieux, tout ému dans ce que le hasard pouvait lui promettre (non de la beauté libre qui lui avait souri) en réveillant son inquiétude de tour du monde.

     Quand il tombe sur de telles pépites, face à son texte, il relève un peu la tête, sourit. Il se réchauffe à cette effraction du destin, dans cette toile tissée laborieusement. Il veut y croire comme à une annonciation. Et s’il ne va pas jouer au loto, c’est parce qu’une pointe d’orgueil le fait hésiter à tout remettre entre les mains du hasard.

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